Doucement, nous émergeons de notre tente dans le petit bois. Café. Café. Café. Nous rangeons le matériel pour retrouver les rives de la Nationale 4. Le kebab est fermé. Pas de café, pas tout de suite. Nous faisons comprendre à notre corps qu'il devra attendre un peu, et tenir le coup sans chaleur au creux de l'estomac.

Le parking de l'Anatolie est presque vide. J'en profite pour traîner un moment sur cette vaste étendue de graviers. Ici, la route n'est faite que de lignes horizontales et lointaines. Parfois, un petit panneau, une remorque ou un ami viennent me contredire.
Léo et moi tendons le pouce et rapidement une 405 blanche s'arrête. Nous voici en compagnie d'Axel, queue de cheval, jeune papa, ex-cuisinier, constructeur de bateaux, en route pour le Teknival. Sourire tranquille. Si avec Frédéric la conversation avait coulé comme une rivière, avec Axel les échanges se font dans de jolies glissades. Lui a failli passer professionnel de snow-board à l'époque où il faisait les saisons en montagne. Nous cherchons toujours notre premier café, mais tout est fermé. Satané weekend du premier mai. Chaque hameau nous fait tordre le cou, mais finalement ça nous va bien de rester au chaud à deviser avec notre conducteur.
Au Teknival c'est souvent des gens qui sont assez anti consommation ou qui rejettent un peu une partie de ce système là. Je sais pas si tu connais la ZAD par exemple ? J'y suis passé une fois ou deux juste pour discuter avec des gens, pour voir un peu. C'est un sujet très très compliqué. Je pense pas qu'il faudrait être hors-système, je suis pas pour la révolution ou pour des choses comme ça, je suis pas pour les bains de sang qui selon moi n'apportent rien. Mais oui effectivement y'a des choses dans ce monde et dans ce capitalisme qui vont pas et donc la solution si je l'avais je serais président et je la donnerais à tout le monde. La solution miracle je l'ai pas.
J'étais dans le sport à la base et c'est pas évident de percer. Ensuite je suis devenu cuisinier par la force des choses, et aussi pour pouvoir voyager. Un cuisinier français il travaille où il veut quand il veut dans le monde. Ca reste magique pour ça. J'ai fait 10 ans cuisinier et j'ai un fils et donc du coup je m'étais promis que je ferais pas de la restauration pour mon fils toute ma vie. C'est pour ça que j'ai arrêté le métier. Cette reconversion elle est venue un peu bizarrement. Par passion et par... j'étais cuisinier au bord de la côte et je voulais changer, et tous les jours je fumais ma clope de pause au bord de la mer. Tous les jours je voyais les bateaux qui rentraient et qui sortaient du port et j'étais bien comme ça. Et je me suis dit "ben voilà t'as trouvé, travaille dans le bateau".
Axel raconte sa vie d'errances avec cohérence. Les saisons, les voyages, l'enfant, la révélation. À sa sérénité, on devine qu'il s'est beaucoup promené, sans jamais bien savoir où aller mais sans s'en préoccuper non plus. Un peu comme nous aujourd'hui.

Axel nous parle de permaculture, de sa maison réaménagée en Vendée pour consommer moins d'énergie, de ces gestes qu'il est important de diffuser en attendant la suite. Je remarque que la ZAD revient une nouvelle fois dans la voiture. Qu'est-ce qui pousse mes interlocuteurs dans cette direction ? Mes questions ? La présence de Léo, qui y consacre ses recherches ? Le profil des personnes les plus enclines à embarquer des auto-stoppeurs ? Un peu tout ça, je présume. Malgré tout, je suis heureux de constater avec quelle facilité il est possible d'envisager le demain avec des inconnus.
- C'est ouvert ça ou pas ? Ah ouais c'est ouvert...
- Ah ouais, joli. On sent que tu connais la route !
Non, c'est pas ouvert. Quel genre de restaurant fermé laisse des chaises et des tables en terrasse ? Le genre "Chez Serge" visiblement. Du haut de notre modeste expérience d'auto-stoppeurs, Léo et moi comprenons que nous venons de tomber dans un trou, et qu'il faudra probablement marcher pour en sortir.

Toujours pas de café.